Uhm. Chelou l’ambiance. L’ambiance était « chelou » depuis qu’il était parti à la recherche du royaume de son père : un malade avec un œil rouge et noir qui déambulait à travers tous les mondes en gueulant « BONJOUR, JE CHERCHE LES ENFERS » tendait à attirer l’attention.
Il y était enfin, après s’être perdu vingt milles fois, et contre les recommandations des gardes de Hurlevent qui s’étaient évertués à le dissuader de… rentrer chez lui, finalement. Le narrateur ne voulait pas l’y renvoyer, il s’en chargerait tout seul. Peut-être y retrouverait-il Megaera, Thanatos ? Ses mères ? Son père, il s’en fichait, de lui. Certes, ils avaient réglé leurs différents, mais le Styx n’avait toujours pas coulé sous les ponts et son père le traitait toujours comme un moins que rien donc au bout d’un moment, son père ou pas son père, ça lui en touchait une sans faire bouger l’autre (sans mauvaise blague incestueuse, on ne sait jamais avec les dieux).
« Où est mon chien ? », s’offusqua-t-il à voix haute en constatant l’absence de Cerbère à… l’entrée des Enfers.
Ça, l’entrée des Enfers ? Quelle arnaque ! Où étaient les imposantes portes qui s’ouvraient sur un monde de richesse insoupçonnées ? Où était son monde de richesses insoupçonnées, déjà ? Eh bien… d’accord. Vu le bordel, pire que dans le poulet, Zagreus savait au moins que ce n’était pas ici qu’il trouverait Nyx. La Nuit aimait le calme et l’ordre, que les choses tournent rond sur leur axe selon un plan précis. Le grand équilibre du monde, un truc dans le genre. Plutôt ironique venant d’une divinité dont le daron s’appelait Chaos, mais Zagreus aimait l’ironie, et sa mère adoptive.
« Votre chien ? »
Un type sorti de nulle part, un peu trop vivant pour paraître à sa place au milieu des âmes que Zagreus côtoyait habituellement, l’interrompit dans ses pensées et lui arracha un hurlement.
« Mon chien. Cerbère. Il doit garder l’entrée pour que personne n’entre ou ne sorte. On dirait un tremplin vers la surface, ça devrait pas. »
Devant l’air perdu du type, il secoua la tête et s’expliqua.
« Les Enfers, on est bien dans les Enfers ? Oui. Ou peu importe comme vous appelez ça. Je suis Zagreus, fils d’Hadès, dieu des morts et roi des Enfers. Je rentre juste chez moi, inutile de faire attention à moi. »
Même si Zagreus n’était pas un pingouin très glissant, l’air de merlan frit en face de lui confirma ce qu’il pensait : ce n’était pas demain la veille (cette expression n’avait aucun sens) qu’il retrouverait son chez lui.
Cependant, le non-mort fit un grand effort de diplomatie en le conviant à le suivre. Aïe aïe aïe. Régner sur les Enfers n’était pas un job qui laissait place à beaucoup de compréhension et de compassion. Si cette diplomatie de façade le conduisait devant qui devait gérer ce bordel d’Underworld, il finirait probablement avec la tête au bout d’une pique. Il avait regardé assez de films et de séries pour envisager qu’éliminer la concurrence potentielle était quelque chose de fréquent. Cruel, barbare, mais fréquent.
Il y allait pourtant joyeusement, car il ne pouvait pas mourir. Déjà parce qu’il n’était pas encore mort depuis son réveil précédent. Il pouvait donc mourir deux fois dans les négociations de… rien du tout en fait, Zagreus n’était pas là pour revendiquer le trône, il n’en avait jamais voulu. Pas son genre d’aller assassiner son père pour sa place.
« Madame. »
Il s’inclina poliment devant la non-morte menaçante qui venait d’arriver et qui le regardait comme un petit scarabée à écraser.
« Je crains qu’il ne s’agisse d’une terrible méprise. Les Enfers sont un bordel sans nom, si vous voulez vous emmerder à régner dessus, libre à vous, je ne vais pas contester ça. Je ne cherche que mes proches – méfiez-vous peut-être de mon père, si vous le croisez. Ah et euh… La paix, je cherche la paix aussi. Parce qu’ils ont l’air assez inquiets de vos plans en haut, et les Enfers n’ont pas vocation à entrer en guerre. Plutôt quelque chose du genre la dernière demeure des morts ou quelque chose comme ça. »
Quel négociateur en carton-pâte ne faisait-il pas.